Les cessions à titre gratuit au profit d’une société sont fréquentes notamment de la part de ses associés, collaborateurs ou prestataires. Une telle gratuité n’est pas sans risque car elle entraine un risque de requalification en donation et la nullité si certaines conditions ne sont pas respectées.

Lorsqu’une société acquiert des droits de propriété intellectuelle à titre gratuit sur un actif (marque, logiciel, logo…), l’absence de formalisation ou une formalisation défaillante entraine des risques importants de remise en question par le cédant.

En cas de litiges postérieurs à la cession, l’on pourra certes invoquer la mauvaise foi du cédant qui tente de revenir sur ses engagements ; mais un tel argument n’est pas un moyen suffisant pour faire échec aux demandes de nullité de la cession et, le cas échéant, celles présentées à l’encontre de la société au titre de la contrefaçon.

Afin d’éviter de compromettre l’exploitation par la société de l’actif cédé et le risque de condamnations à des dommages et intérêts, il convient de veiller particulièrement à la rédaction de l’acte de cession et de se faire bien conseiller sur les enjeux en présence.

1/ Risque à éviter n° 1 : Absence de contrepartie ou vice du consentement – La gratuité et ses conséquences doivent être explicites

Pour les droits d’auteurs, l’article L.122-7 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) dispose que : « le droit de représentation et le droit de reproduction sont cessibles à titre gratuit ou à titre onéreux. ».

Une telle cession est donc possible et parfaitement licite.

Il faut cependant veiller à rédiger clairement la clause de renonciation à rémunération qui stipule ladite gratuité afin d’éviter un reproche lié à l’absence de contrepartie ou à l’existence d’un vice du consentement, qui entrainerait la nullité de la cession.

  • Il faut que la personne qui cède soit pleinement consciente de la portée de son acte. La Cour d’appel de Paris a pu juger en ce sens que « l’auteur est libre, si, du moins, il a une claire conscience de ce qu’il cède à titre gratuit, de renoncer à percevoir des droits patrimoniaux sur l’exploitation de son œuvre » (CA Paris, 25 nov. 2005, n° 04/02005).
  • Le caractère ambigu d’une clause de cession gratuite s’interprète en faveur du cédant et emporte la nullité de la cession. (CA Paris, 10 décembre 2004 (Ed. L’Harmattan c./ M. Tisserand, RIDA 204 avril 2005 p. 286 : nullité d’un contrat d’édition et de sa clause jugée ambiguë dans la mesure où elle prévoyait « le versement à l’auteur, pour chaque exemplaire vendu, d’une rémunération assise sur le prix fort de vente hors TVA de 0 % sur le premier mille, 7 % sur les deux mille suivants et 10 % à partir de quatre mille »).

2/ Risque à éviter n° 2 : La requalification en donation – Exclure expressément l’intention libérale

  • Les conséquences de la requalification

Une cession à titre gratuit peut être requalifiée en donation soumise à un formalisme particulier.

Aux termes de l’article 931 du Code civil, tous les actes portant donation entre vifs doivent être passés devant notaire dans la forme ordinaire des contrats, sous peine de nullité.

C’est la solution rigoriste appliquée par un jugement du Tribunal judiciaire de Paris le 8 février 2022 dans une espèce opposant le cédant à la société exploitante, plus de 3 ans après la cession gratuite de la propriété d’une marque et de dessins et modèles.

Le tribunal a jugé que :

« le contrat […] emporte explicitement transfert de propriété de la marque et des modèles « à titre gratuit ». Il s’agit donc par définition d’une donation, non dissimulée et portant sur des droits incorporels, comme tels insusceptibles de remise physique. L’acte, qui devait donc être passé devant notaire alors qu’il est constant qu’il a été conclu sous seing privé, est nul. » (TJ Paris, 8 févr. 2022, n° 19/14142)

La cession d’une marque et de dessins et modèles à titre gratuit (mais cela peut être rapporté plus largement à l’ensemble des droits de propriété intellectuelle) devrait donc à suivre ce raisonnement être systématiquement passée devant notaire.

Il faudrait donc ajouter au formalisme prévu par le code de la propriété intellectuelle (notamment les articles L131-2 et L131-3 du CPI pour les droits d’auteur) celui de l’article 931 du Code civil sur les donations.

Le non-respect du formalisme risque d’entrainer la nullité de la cession et la perte des droits d’exploitation. L’annulation de la cession permet également à l’ex-cédant d’agir contre l’exploitant en contrefaçon sur le fondement des droits recouvrés.

  • Mais heureusement, il n’y a pas de donation sans intention libérale

Une cession de droits stipulée à titre gratuit n’est pourtant pas nécessairement une donation.

En effet, en tant que libéralité, la donation implique l’existence d’une intention libérale de la part du cédant, c’est-à-dire de la volonté de celui-ci de se dépouiller gratuitement au profit du cessionnaire.

Comme l’a opportunément rappelé la Cour de cassation, En l’absence d’une telle volonté, la qualification de donation ne peut être retenue (Cass. Civ. 1ère, 20 février 2008, n° 07-15.978).

C’est ce qu’avait jugé la Cour d’appel de Paris dans une affaire opposant les héritiers de Picasso à une maison d’édition en retenant qu’une cession à titre gratuit de droits d’auteur ne pouvait être qualifiée de donation car apportait à l’auteur « non seulement une satisfaction morale, mais lui permettait de faire connaître ses œuvres d’un plus grand public, d’accroître sa notoriété tant en France qu’à l’étranger dans la mesure où l’ouvrage devait faire l’objet de coédition anglaise, allemande et espagnole ; Que même la diffusion internationale d’un tel ouvrage ne pouvait que contribuer à augmenter la côte de l’artiste et la valeur des dessins reproduits ; Qu’il s’ensuit que ces avantages excluaient l’intention libérale de Pablo Picasso » (CA Paris, 1er juill. 1998 : RIDA 4/1999, p. 390, n° 179)

Dans le cas d’une cession d’un logiciel à titre gratuit par un associé au bénéfice d’une société, Il existe de nombreuses contreparties non financières. L’associé a notamment un intérêt économique direct évident au développement de la société et aux bénéfices qui en découlent. La gratuité peut être également justifiée par la mise en visibilité du cédant et l’accroissement de sa notoriété (CA Versailles, 22 février 2019, n°17/04881).

L’existence d’une contrepartie même indirecte permet d’exclure l’intention libérale et donc le risque de requalification en donation.

Cette contrepartie doit faire l’objet d’une stipulation expresse dans l’acte de cession. La clause de prix peut ainsi mentionner les motivations pour lesquelles l’auteur consent à céder ses droits à titre gratuit (CA Paris, 11 septembre 2013, n° 12/11741).

Nous recommandons donc de stipuler non seulement que la cession n’emporte aucune intention libérale, mais aussi de préciser la contrepartie (non financière ou indirecte) attendue par le cédant.

Nous vous accompagnons donc pour formaliser vos actes de cession de droits, en respectant le formalisme applicable aux types de droits cédés.