Le non-respect de la réglementation expose à des sanctions administratives ou pénales mais ces agissements peuvent aussi constituer des actes déloyaux au préjudice des concurrents qui peuvent en demander la réparation.
C’est ce que vient de rappeler la Cour de cassation dans un arrêt de la chambre commerciale du 16 mars 2022. (Cass. com., 16 mars 2022, n° 20-22.022.).
Dans cette affaire la Cour de cassation sanctionne une Cour d’appel qui avait rejeté la demande de deux sociétés à l’encontre d’un concurrent qui occupait illégalement le domaine public. La haute juridiction casse et annule l’arrêt en exposant clairement que « l’occupation sans titre du domaine public pour y exercer une activité commerciale constitue un acte de concurrence déloyale. »
- Une situation de concurrence faussée devenue déloyale
Le cas d’espèce était le suivant :
Aux alentours du Stade de France la Collectivité PLAINE COMMUNE avait installé au centre d’une place des locaux commerciaux sur le domaine public dans l’attente de la construction des immeubles alentours afin d’offrir aux travailleurs des bureaux alentours une offre de restauration.
Les restaurants occupants du domaine public bénéficiaient d’un emplacement central très privilégié permettant de drainer la majeure partie de la clientèle alentour et d’une convention d’occupation temporaire avec une faible redevance. Ces avantages permettaient à ces entreprises de réaliser un chiffre d’affaires et des bénéfices conséquents.
Une fois les immeubles construits, des restaurants concurrents se sont installés autour de la place. Ces concurrents périphériques étaient soumis à des baux commerciaux et des charges plus importantes tout en subissant la concurrence de leur voisin plus favorisé.
La collectivité, ayant constaté l’apparition d’une initiative privée suffisamment fournie, a finalement décidé de mettre fin à l’occupation du domaine public et de libérer le centre de la place.
Mais un des restaurant occupant le centre de la place a poursuivi son activité dans les locaux dépendants du domaine public au-delà du terme de l’autorisation précaire que l’administration lui avait accordée et qui n’était pas tacitement reconductible.
Ce restaurant continuait donc de bénéficier, sans aucune autorisation réglementaire, d’un avantage concurrentiel conféré par la situation géographique avantageuse des bâtiments situés sur le domaine public et des charges d’exploitation minorées par rapport à ses concurrents.
Les concurrents s’en sont émus et ont initié une procédure afin de faire reconnaitre la concurrence déloyale dont ils s’estimaient victimes.
- L’occupation illicite du domaine public constitutive d’une violation de la règlementation applicable
Dans l’arrêt qui nous occupe, la réglementation applicable était l’article L. 2122-1 du Code général de la propriété des personnes publiques qui dispose :
« Nul ne peut, sans disposer d’un titre l’y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 ou l’utiliser dans des limites dépassant le droit d’usage qui appartient à tous ».
La Cour de cassation relève à cet égard que « L’occupation sans titre du domaine public résulte du seul maintien dans les lieux malgré l’absence de renouvellement de la convention d’occupation à son terme et sans que l’administration n’ait à avertir l’occupant de la décision de non-renouvellement. »
L’infraction à la règlementation étant établie, la Cour de cassation en déduit logiquement que « le maintien dans les lieux de la société Flac était illicite et constituait un acte de concurrence déloyale ».
La constatation de cet acte de concurrence déloyale ouvre la voie à la réparation du préjudice des concurrents respectueux de la réglementation qui devaient à ce titre assumer des charges plus importantes et un détournement de clientèle au profit de leur concurrent déloyal.
- Une solution jurisprudentielle bien établie
Exposant clairement le principe développé dans cet article, la cour d’appel de Pau a jugé en 2013 :
« Il est constant qu’un manquement à une obligation légale par une entreprise, ainsi que le non-respect d’une réglementation peuvent constituer une faute justifiant une condamnation pour concurrence déloyale, en ce que ce comportement perturbe le marché de par la situation plus favorable dans laquelle cette entreprise se trouve par rapport à celles qui respectent la réglementation ». CA Pau, 31 janv. 2013, n° 13/00370.
Dans le même sens, la Cour de cassation a approuvé une Cour d’appel qui avait jugé que le non-respect de la réglementation administrative constitue un acte de concurrence illicite et déloyalequi fait présumer l’existence d’un trouble commercial impliquant l’existence d’un préjudice. (Cass. Com., 21 janvier 2014 n° 12-25443 pièce n°29)
Dans cette affaire, une société spécialisée dans la récupération de matières métalliques recyclables issues en particulier des véhicules hors d’usage exploitait une activité de broyage listée dans la nomenclature des installations classées et nécessitant une autorisation préalable.
La Cour d’appel a jugé que « le défaut, par la société intimée, du respect de la réglementation administrative relative à l’activité commerciale de broyage, constitue, pour la société appelante, un acte de concurrence illicite et déloyale générateur, en lui-même, d’un trouble commercial impliquant l’existence d’un préjudice. »
Cette position est validée par la Cour de cassation, laquelle a considéré :
- D’une part, que « l’arrêt, après avoir relevé que de septembre 2005 à octobre 2007, la société MARCHETTO avait exploité une installation de broyage et entreposage de véhicules hors d’usage sans autorisation préfectorale et en violation de la réglementation en vigueur, en déduit qu’un tel agissement avait apporté une distorsion dans le jeu de la concurrence afférente au marché des activités de stockage de véhicules hors d’usage »,
- D’autre part, que « la qualification de concurrence déloyale ne suppose pas que les faits incriminés aient procuré un profit à leur auteur ».
Cette solution a été confirmée, dans un tout autre domaine, celui de la chocolaterie et des règles sur l’usage du terme « artisan », mais sur le même principe de violation d’une règlementation. (Cass Com 5 juillet 2016 – n°14-17783).
La Cour de cassation s’est encore prononcée dans le même sens en 2020, dans une affaire où il était reproché à un concurrent déloyal de ne pas avoir respecté la réglementation sur les délais de paiement interentreprises (Cass. com., 15 janv. 2020, n° 17-27.778).
La position de la chambre commerciale de la Cour de cassation est donc clairement établie :
- Le respect de la réglementation a un coût certain qui fait partie des charges normales dans une situation de concurrence loyale ;
- Le non-respect d’une réglementation est susceptible de perturber le marché en plaçant une société dans une situation anormalement favorable par rapport à ses concurrents qui la respectent, dans la mesure où ceux qui s’affranchissent des règlementations se procurent nécessairement un avantage concurrentiel ;
- Le trouble commercial pour le concurrent qui en est victime est présumé.
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