Lorsque l’associé minoritaire a des doutes concernant une opération de gestion ou considère notamment que les dirigeants ont commis une faute de gestion, il lui est possible d’engager une action visant à obtenir la désignation d’un expert chargé de rendre un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion.

Les actions à la disposition de l’associé minoritaire peuvent, selon la forme adoptée par la société, être soumises à certaines conditions lorsqu’elles sont prévues par un article spécifique du Code de commerce.

La désignation de l’expert peut être obtenue via deux fondements juridiques, distincts l’un de l’autre : (i) soit en application des dispositions générales des articles 145 et suivants du Code de procédure civile, (ii) soit en faisant usage des dispositions spéciales du Code de commerce applicables à la forme de société concernée.

Ces fondements ne sont pas exclusifs l’un de l’autre, ce qui signifie qu’une expertise de gestion demandée sur la base de l’article 145 du Code de procédure civile ne fait pas obstacle à ce que l’associé minoritaire demande la désignation d’un expert en application d’une disposition spéciale.

La chambre commerciale de la Cour de cassation a notamment pu juger à deux reprises que :

« Une mesure d’instruction ordonnée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ne revêt aucun caractère subsidiaire par rapport à l’expertise de gestion prévue par l’article L. 225-231 du code de commerce ».

« Une expertise de gestion précédemment ordonnée sur le fondement de l’article L. 225-231 du code de commerce ne fait pas obstacle à ce qu’une expertise soit ordonnée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ».

Cette position est également partagée par les juges du fond, notamment la Cour d’appel de Rennes, qui en a fait la démonstration récemment :

« L’expertise de gestion organisée par ces dispositions ne se confond pas avec les mesures d’instruction prévues par les articles 145 et suivants du code de procédure civile, lesquelles peuvent d’ailleurs être engagées concomitamment ».

Attention, en dépit de la position claire de la jurisprudence à ce sujet, il arrive parfois que certains juges refusent de faire application de l’article 145 du Code de procédure civile. Cela est notamment le cas lorsque le champ de l’expertise demandée sur ce fondement entre en collision ou empiète sur celui d’une expertise déjà demandée sur la base d’une disposition spéciale du Code de commerce.

L’utilisation de l’un ou l’autre de ces textes est soumis à des conditions spécifiques.

  1. L’expertise de gestion prévue par le Code de commerce
  • Dans les sociétés à responsabilité limitée (SARL)

Cette demande n’est conditionnée par la réalisation d’aucune formalité préalable, comme l’exercice de son droit d’alerte par l’associé minoritaire, même si elle en constitue parfois la conséquence.

Seul(s) un ou plusieurs associés minoritaires représentant au moins un dixième (10%) du capital social de la société peuvent, individuellement ou en se groupant, demander la désignation d’un ou plusieurs experts.

La même faculté est offerte au comité social et économique (CSE – si la société en dispose) et, surtout, au ministère public, notamment dans le cas où le commissaire aux comptes (CAC) de la société (s’il en existe) a exercé son droit d’alerte.

Cette demande est effectuée par voie d’assignation en référé devant le président du tribunal de commerce du lieu du siège social de la société. La signification est faite à la société.

Le président du tribunal de commerce statue en référé (NB : avant la loi PACTE, le président statuait en la forme des référés), après convocation du gérant à l’audience par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.

S’il fait droit à la demande de l’associé minoritaire, le président du tribunal de commerce fixe le périmètre temporel et matériel de la mission de l’expert et détermine les pouvoirs de celui-ci. Les honoraires de l’expert seront supportés soit par le demandeur, soit par la société.

  • Dans les sociétés anonymes (SA) et sociétés par actions simplifiées (SAS)

Le même texte régit la demande de désignation d’un expert de gestion dans les SA et les SAS, par renvoi de l’article L.227-1 du Code de commerce.

Les conditions à remplir pour agir aux fins de désignation d’un expert sont plus strictes que dans les SARL.

Les personnes pouvant agir en justice diffèrent selon la forme de la société et de sa cotation sur un marché réglementé ou non :

  • Dans les SA cotées, l’action est ouverte (a) aux associations destinées à représenter les intérêts d’actionnaires justifiant d’une inscription nominative depuis au moins deux ans et détenant ensemble au moins 5% du capital social et (b) un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5% du capital social, agissant seuls ou regroupés ;
  • Dans les SA non cotées et les SAS, l’action n’est ouverte qu’à un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5% du capital social, seuls ou regroupés sous quelque forme que ce soit.

L’action ne peut être engagée que sous réserve :

  • d’avoir préalablement adressé une ou plusieurs questions par écrit au président du conseil d’administration ou au directoire (dans les SA et dans les SAS qui auraient choisi de mettre en place un tel organe) ou au président (dans les SAS) sur une ou plusieurs opérations de gestion de la société ou des sociétés qu’elle contrôle ; et
  • que les actionnaires n’aient pas reçu de réponse dans le délai d’un mois ou que les éléments de réponse qui leur ont été communiqués n’aient pas été jugés satisfaisants.

Ces deux conditions remplies, les actionnaires peuvent effectuer une demande de désignation d’un expert par voie d’assignation en référé, devant le président du tribunal de commerce du lieu du siège social de la société. La signification est faite à la société.

Comme dans les SARL, cette action est également ouverte au CSE et au ministère public.

Le président du tribunal de commerce statue en référé (pour les instances introduites avant le 1er janvier 2020, en la forme des référés), après que le président du conseil d’administration, du directoire ou le président a été convoqué par le greffe par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.

Tout comme dans la SARL, s’il fait droit à la demande de l’associé minoritaire, le président du tribunal de commerce fixe le périmètre temporel et matériel de la mission de l’expert et détermine les pouvoirs de celui-ci. Les honoraires de l’expert seront supportés soit par le demandeur, soit par la société.

  1. L’expertise de gestion sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile

Contrairement à la procédure prévue par le Code de commerce, tout associé minoritaire, quelle que soit sa participation dans le capital d’une société, peut demander la désignation d’un expert aux fins d’établir un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion.

Cette procédure n’est conditionnée à aucune formalité préalable, notamment pour ce qui concerne les SA et SAS.

Toutefois, la demande ne peut être effectuée que s’il existe, selon l’article 145 du Code de procédure civile, « un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige ».

Au sens de cet article, une expertise de gestion doit être demandée en vue d’une action future, notamment aux fins d’obtenir la condamnation du dirigeant à réparer le préjudice subi par la société du fait d’une faute de gestion quelconque (action ut singuli).

Il s’agit alors de bien réfléchir en amont aux prochaines étapes et ne pas se lancer à corps perdu dans une procédure qui ne serait pas suffisamment fondée et ne reposerait soit sur aucun motif légitime, soit sur un motif trop fragile.

La juridiction compétente est ici, comme pour l’expertise de gestion fondée sur le Code de commerce, le président du tribunal de commerce du lieu du siège de la société.

Cependant, en présence d’une société professionnelle soumise aux règles applicables aux sociétés commerciales (SELARL, SELAS, etc.), l’action doit, à notre sens, être engagée devant le président du tribunal judiciaire.

Dans tous les cas, le tribunal sera saisi sur requête ou en référé.

Le président du tribunal compétent statue et détermine l’étendue de la mesure d’instruction, soit le périmètre de la mission de l’expert et ses pouvoirs. Sa décision n’est susceptible d’aucune voie de recours ou d’opposition indépendamment du jugement sur le fond.

Il reste saisi et agit en tant que juge chargé du contrôle des mesures d’instruction, autorité à laquelle les parties pourront se référer tout au long des opérations d’expertise.

Notes :

  • Code de commerce :
    • articles L.223-37 et R.223-30 (SARL) ;
    • articles L.225-231, R.225-163 (SA) et L.227-1 (SAS, pour renvoi).
  • Code de procédure civile :
    • articles 145 et suivants.
  • Jurisprudence :
    • Cass. com., 18 oct. 2011, n° 10-18.989, Bull. 2011, IV, n° 165 ;
    • Cass. com., 15 sept. 2015, n° 13-25.275 ;
    • CA Rennes, 1re ch., 14 sept. 2021, n° 20/04610.