Lorsque les opérations d’expertise sont conduites et se déroulent en bonne intelligence, l’expert pourra rendre son rapport selon les délais qui lui ont été impartis par le juge. Des difficultés pourront cependant survenir au cours des opérations d’expertise ou, selon le cas, la mission et les pouvoirs de l’expert se révèleront trop restreints. 

Le périmètre de la mission de l’expert ainsi que ses pouvoirs, tels que déterminés par le juge, conditionnent le déroulé des opérations d’expertise.

Il convient donc de déterminer en amont dans l’assignation et le plus largement et certainement possible :

  • le périmètre temporel de la mission de l’expert – par exemple : les contrats conclus entre la société X et la société Y entre le 1er janvier 2017 et le 31 décembre 2021 ;
  • l’ensemble des documents que l’expert doit se voir transmettre afin de mener à bien sa mission – par exemple : l’expert pourra se faire communiquer tous contrats, avenants et accords conclus entre la société X et la société Y, ainsi que toutes études d’impact, pièces comptables, consultations, correspondances, etc.
  • les différents techniciens auxquels il pourra faire appel – par exemple : l’expert pourra se faire assister de tout expert en opérations de banque et de crédit, de tout expert en fiscalité internationale et de tout traducteur assermenté aux fins d’accomplir sa mission.

Le choix est vaste et les possibilités multiples, en fonction des opérations de gestion concernées et de la surface financière de l’associé minoritaire ou de l’entreprise qui supportera les honoraires de l’expert. L’essentiel est ici d’adresser une demande pertinente et réaliste qui recueillera les faveurs du juge.

Au cours des opérations d’expertise, les parties seront amenées à communiquer à l’expert un certain nombre de documents en lien avec sa mission, à assister à des réunions d’expertise ou à transmettre divers renseignements afin de lui permettre de rédiger et rendre son rapport.

L’expert recueillera des informations auprès des techniciens auxquels il aura fait appel, afin de parfaire sa compréhension du dossier.

Lorsque surviennent les premières difficultés, l’associé minoritaire ou l’expert peuvent agir et s’adresser au juge.

  1. Surmonter les difficultés, le rôle du juge

Il arrivera que l’une des parties, le plus souvent celle qui est visée par l’expertise, refuse de coopérer avec l’expert et fasse délibérément obstruction aux opérations en cours :

  • soit en ne communiquant pas les documents requis de sa part ;
  • soit en les communiquant si tardivement que sa mauvaise foi est présumée ;
  • soit en refusant d’assister aux réunions d’expertise ; ou
  • soit en ne répondant pas aux sollicitations de l’expert et des différentes parties.

Dans ce cas, il demeure nécessaire de ne pas attendre et d’en référer au juge compétent. Celui-ci diffère selon le fondement retenu pour la demande de désignation de l’expert.

  • Lorsque la demande est fondée sur une disposition spéciale du Code de commerce

Aucun article du Code de commerce, peu important la forme de la société en cause, ne prévoit l’existence d’un juge chargé du contrôle des mesures d’instruction, comme cela peut être le cas sous l’empire du droit commun.

Pour autant, lorsqu’une difficulté survient en cours d’expertise, l’associé minoritaire n’est pas sans recours.

Si l’expert ne le fait pas avant lui, l’associé minoritaire peut saisir le juge chargé du contrôle des mesures d’instruction, qui n’est pas le président du tribunal de commerce mais un autre juge du tribunal de commerce, par requête.

La requête expose les motifs et des difficultés rencontrées par la partie concernée.

Par exemple, si l’expert a commis une faute justifiant son remplacement ; ou, comme cela arrive plus souvent, si la partie adverse a cessé de communiquer les documents exigés par l’expert.  Dans ce cas, la requête reprend les différents échanges survenus entre les parties et établit l’inaction de l’autre partie.

L’associé minoritaire peut demander au juge qu’il enjoigne l’autre partie de communiquer, sous astreinte, les documents concernés – par exemple : ORDONNER à X de communiquer, dans un délai d’une semaine à compter de la décision rendue par le juge chargé du contrôle des mesures d’instruction, sous astreinte de 50 euros par document et par jour de retard, l’ensemble des documents et informations requis par l’Expert.

Le juge chargé du contrôle des mesures d’instruction rend une ordonnance motivée.

Dans la mesure où les dispositions du Code de commerce sont muettes à ce sujet, au contraire des dispositions des articles 145 et suivants du Code de procédure civile, il est recommandé de signifier cette ordonnance à la partie adverse et de lui permettre de faire appel dans le délai d’un mois à compter de la signification.

Il est possible que la menace d’une astreinte n’impressionne pas la partie adverse, parce qu’elle est déterminée à ne pas communiquer.

Ce type de comportement, susceptible de renforcer les doutes de l’associé minoritaire quant à la légitimité et la légalité de l’opération de gestion en cause, donne la possibilité à l’associé minoritaire de décider de laisser le temps s’écouler et liquider l’astreinte ultérieurement.

La liquidation de l’astreinte est demandée, non devant le juge en charge du contrôle des mesures d’instruction, mais par voie d’assignation devant le juge de l’exécution près le tribunal judiciaire du lieu du siège social de la société.

L’associé minoritaire peut, à cette occasion, demander la fixation d’une astreinte définitive, d’un montant bien supérieur, commençant à courir à compter du jour auquel le jugement de liquidation de l’astreinte est rendu.

L’astreinte définitive pourra être de nouveau liquidée par le juge de l’exécution, sous réserve que l’associé minoritaire lui demande de réserver sa compétence à cet effet.

  • Lorsque la demande est fondée sur l’article 145 du Code de procédure civile

Dans ce cadre, l’expertise profite d’un « balisage » plus clair, puisque l’ensemble de la procédure d’expertise est circonscrite par la loi.

Ainsi, la mesure d’instruction est exécutée sous le contrôle du juge qui l’a ordonnée. Les parties disposent d’un seul interlocuteur, qui bénéficie déjà d’une connaissance éclairée des enjeux du dossier.

Il est également possible que le juge ayant ordonné la mesure décide de désigner un juge spécialement chargé de contrôler l’exécution des mesures d’instruction.

Ainsi, en cas de difficulté, le Code de procédure civile prévoit expressément que celle-ci sera réglée à la demande des parties ou à l’initiative de l’expert, voire d’office par le juge. Ce dernier est saisi sans forme par les parties, c’est-à-dire qu’il peut l’être par une lettre exposant la nature et l’étendue des difficultés rencontrées.

Il fixe alors la date à laquelle les parties et, si besoin, l’expert, devront s’expliquer devant lui.

Sa décision, en ce qu’elle statue sur l’exécution de la mesure d’expertise, n’est susceptible ni de recours, ni d’opposition indépendamment du jugement rendu sur le fond. Elle prend la forme, soit d’une simple mention au dossier ou au registre d’audience, soit, si la nécessité l’exige, d’une ordonnance ou d’un jugement.

Tout comme en matière d’expertise de gestion exécutée sur le fondement des dispositions spéciales du Code de commerce, l’associé minoritaire peut demander que le juge prononce des mesures complémentaires et punitives, notamment une astreinte.

2. L’extension de la mission de l’expert

Il est parfois possible que la mission de l’expert se trouve trop restreinte et doive être étendue afin de permettre à celui-ci de réaliser sa mission. Cela parce que l’ampleur des anomalies suspectées est plus importante qu’anticipé ou parce que les opérations d’expertise se sont étalées sur un temps si long que le périmètre temporel de cette mission doit être élargi.

Il peut arriver également que la société a changé de forme dans l’intervalle ou que l’associé minoritaire, esseulé dans sa démarche, ne dispose plus d’une quotité du capital suffisante pour demander une nouvelle expertise.

Dans ces conditions, l’associé minoritaire dispose de plusieurs solutions selon les circonstances.

  • Lorsque la demande est fondée sur une disposition spéciale du Code de commerce

Comme cela est le cas en cas de difficultés survenant au cours de l’expertise, aucun article du Code de commerce ne prévoit la faculté d’étendre la mission de l’expert désigné.

Pour autant, l’action peut, à notre sens, exister malgré le silence des textes.

Si la société n’a pas changé de forme, la saisine du juge chargé du contrôle des mesures d’instruction reste possible, dans les mêmes conditions que lorsque survient une difficulté.

Il s’agira alors d’apporter les éléments de fait justifiant que soit étendue la mission de l’expert et de déterminer à nouveau le périmètre et les pouvoirs de celui-ci.

Par exemple, dans le cas où les opérations d’expertise devraient être étendues dans le temps : ETENDRE la mission de X, expert désigné, comme suit : Présenter un rapport complémentaire sur les conventions conclues ou poursuivies par la société Y, ses filiales ou ses dirigeants, du 31 décembre 2021 à ce jour.

Si des difficultés se sont fait jour au cours de la procédure d’expertise et si la communication de nouveaux documents est nécessaire, il est également possible de demander au juge de prononcer une astreinte sur le même modèle que ce qui a été mentionné plus haut : ORDONNER à X de communiquer, dans un délai d’une semaine à compter de la décision rendue par le juge chargé du contrôle des mesures d’instruction, sous astreinte de 50 euros par document et par jour de retard, l’ensemble des documents et informations requis par l’Expert.

Il est possible que la société ait changé de forme entre temps, par exemple en passant de SARL à SA ou SAS, formes de sociétés pour lesquelles la demande d’expertise de gestion présente des conditions plus exigeantes, et/ou que l’associé minoritaire ne détienne plus une quotité du capital suffisante pour demander une nouvelle expertise de gestion en repartant d’une feuille blanche.

  • La société a changé de forme, peu important que l’associé minoritaire dispose toujours d’une quotité du capital suffisante pour engager une nouvelle action si nécessaire : rien n’empêche de demander au juge chargé du contrôle des mesures d’instruction d’étendre les opérations d’expertise pour la période postérieure à la transformation de la société.

La société fera évidemment valoir que le changement de forme implique de recommencer la procédure à zéro, soit d’interroger à nouveau le dirigeant (dans les SA, SCA et SAS), d’assigner en référé et de subir le temps juridique ainsi que les différents recours ou incidents.

Inversement, l’associé minoritaire pourrait par exemple arguer que la société n’a pas cessé d’exister malgré ce changement de forme sociale et que la bonne tenue des opérations d’expertise ainsi que l’intérêt social justifient que soit élargie la mission de l’expert en dépit de cette transformation.

  • La société n’a pas changé de forme mais l’associé minoritaire ne remplit plus les conditions pour demander une nouvelle expertise : dans ce cas, si la société fait valoir l’absence d’intérêt ou de qualité à agir de l’associé minoritaire, celui-ci peut opposer que sa demande dérive directement de l’action engagée lorsqu’il remplissait les conditions légales pour obtenir la désignation d’un expert de gestion.

Il peut également arguer que les opérations d’expertise sont diligentées dans l’intérêt de la société et que celui-ci commande que l’expert puisse rendre un rapport exhaustif sur les opérations de gestion critiquées.

Si le juge ne fait pas droit à la demande de l’associé minoritaire, celui-ci peut encore engager une action devant le président du tribunal de commerce, statuant en référé, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile.

Cette action, comme cela a été indiqué plus haut, présente l’avantage de ne pas imposer de conditions de détention ou d’accomplissement préalable de formalités, mais uniquement la preuve d’un motif légitime en vue d’un futur procès.

Certains juges, lorsque saisis en vertu de l’article 145 du Code de procédure civile, peuvent toutefois refuser d’accorder la désignation d’un expert, malgré le caractère indépendant de l’expertise prévue par le Code de procédure civile.

  • Lorsque la demande est fondée sur l’article 145 du Code de procédure civile

Dans ce cadre, le juge en charge du contrôle des mesures d’instruction peut librement accroître ou restreindre l’étendue de la mission de l’expert, ainsi que ses pouvoirs.

Cette extension peut être demandée et décidée immédiatement et sur place, lorsque le juge assiste personnellement aux opérations d’expertise. La chose est rare en matière de contrôle d’opérations de gestion, mais possible.

En dehors de ce cas, l’extension de la mission de l’expert peut résulter de plusieurs hypothèses :

  • L’expert en a fait la demande au juge ;
  • Les parties se sont mises d’accord par écrit pour que l’expert réponde à d’autres questions que celles exposées dans la décision de l’expert ;
  • Une des parties en fait la demande par requête au juge.

Dans tous les cas, exception faite de l’hypothèse dans laquelle les parties ont conclu un accord par écrit, le juge a l’obligation de recueillir préalablement les observations de l’expert.

Sauf à ce que les parties établissent un préjudice, le défaut de consultation de l’expert par le juge n’est pas sanctionné par la nullité.

L’extension de la mission de l’expert apparaît ainsi plus aisée lorsque l’expertise a été ordonnée sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile.

Notes :

  • Code de commerce :
    • articles L.223-37 et R.223-30 (SARL) ;
    • articles L.225-231, R.225-163 (SA) et L.227-1 (SAS, pour renvoi).
  • Code de procédure civile :
    • articles 145 et suivants.
  • Jurisprudence :
    • Cass., civ. 2ème, 22 septembre 2016, 15-14.449 ;
    • Cass., civ. 2ème, 18 septembre 2008, 07-17.640 ;
    • Rouen, ord., 1er juill. 1983, Gaz. Pal., 1984. 1.