Les actifs d’une entreprise sont souvent le résultat du travail de ses salariés. L’entreprise peut se croire automatiquement investie des droits d’auteur sur ces œuvres. Une telle croyance est dangereuse car le contrat travail n’est pas un contrat de cession de droit d’auteur. L’entreprise ne dispose pas automatiquement des droits et doit formaliser une cession en bonne et due forme.

Les salariés constituent dans de nombreux cas (comme le secteur technologique) les principaux pourvoyeurs d’œuvres exploitées par l’entreprise.

Ces actifs sont créés dans le cadre du contrat de travail, avec les moyens de l’entreprise, le paiement d’un salaire. Ils sont destinés à une exploitation par l’entreprise.

L’employeur peut se croire légitime à revendiquer la titularité des droits sur une œuvre qu’il exploite.

Il bénéficie à cet égard d’une présomption de titularité sur les œuvres qu’il exploite sous son nom (Cass. Civ. 1ère, 24 mars 1993, 91-16.543 : Aero).

Toutefois, c’est une simple présomption. Il n’existe pas en France de régime spécifique de l’œuvre des salariés comme en droit anglo-saxon (work for hire). Sauf cas particuliers, il n’y a pas de cession automatique des droits des œuvres créées par les salariés (ou les stagiaires).

En l’absence de cession formelle, l’exploitation par une entreprise de ces actifs peut être remise en question par la revendication d’un salarié.

  • Principe : Pas de cession automatique des droits sur les œuvres des salariés.

Pas de dérogation aux principes généraux

L’article L. 111-1, alinéa 1 du Code de la propriété intellectuelle dispose expressément que l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.

Dans son alinéa 3, ce même article précise que « l’existence ou la conclusion d’un contrat de louage d’ouvrage ou de service par l’auteur d’une œuvre de l’esprit n’emporte pas dérogation à la jouissance du droit reconnu par le premier alinéa ».

Le principe posé à l’article art. L111-1 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) s’applique pleinement aux relations employeur/salarié : le contrat de travail n’emporte pas cession automatique des droits attachées aux créations du salarié (Soc. 11 mai 2016, no 14-26.507 ; (Cass. com., 28 avr. 2004, n° 02-14.220).

Risque 1 : Pas de clause, pas de cession

La cession des droits d’auteur est enfermée dans un formalisme strict qui impose non seulement l’existence d’un écrit (article L131-2 CPI), mais aussi, l’inclusion des mentions obligatoires prévues à l’article L131-3 du CPI.

Or, la plupart du temps le contrat de travail est muet sur la cession des droits d’auteur.

En l’absence de cession formelle les droits d’auteur ne sont donc pas transférés à l’employeur et le salarié reste titulaire des droits.

La société risque de se voir condamnée au paiement de dommages et intérêts en cas de revendication de la titularité de ses droits par l’auteur (Civ 1. 21 oct. 1997 n°95-17.256).

Risque 2 : Une clause mal rédigée, pas de cession non plus

Lorsqu’une clause « propriété intellectuelle » existe dans le contrat de travail elle est souvent rédigée dans des termes très généraux et prévoit que le salarié cède à l’employeur tous ses droits sur l’ensemble des œuvres qu’il sera amené à créer dans le cadre de son emploi.

Ce type de clauses est particulièrement à risque pour la société car elle diminue sa vigilance et n’offre qu’une protection illusoire à défaut de respecter pleinement le formalisme exigé par le CPI.

Ainsi, sera réputée nulle, la clause de cession qui se limite à énoncer que les droits sur les œuvres créées par les salariés dans le cadre de leur contrat de travail sont cédés sans autre précision des droits cédés, du domaine d’exploitation quant à la destination et à l’étendue, du lieu et de la durée de la cession (Soc. 7 janv. 2015, no 13-20.224).

De telles clauses peuvent être également être considérées comme contraires au principe de l’interdiction des cessions globales d’œuvres futures de l’article L13-1 du CPI.

Le salarié ne peut valablement s’engager à céder en une seule stipulation l’ensemble des œuvres qu’il créera pour l’employeur

Solution : formaliser la cession

Par précaution, il est recommandé de régulariser un contrat de cession de droits d’auteur avec le salarié en particulier lorsqu’il s’agit d’un actif stratégique de l’entreprise. (Comme un logo, un site internet, un support de formation …)

La clause dans le contrat de travail reste possible avec quelques précautions. La Cour de cassation a par ailleurs précisé qu’une clause prévoyant la cession automatique des droits de propriété « au fur et à mesure de l’exploitation ou du règlement éventuel des travaux » ne pouvait s’analyser en une cession globale d’œuvres futures (Civ. 1ère, 4 févr. 1986, n° 83-13.114, Bull. civ. I, n° 12 ; JCP 1987. Comm. 20872, note R. Plaisant ; Cour d’appel de Paris, Pôle 6 – chambre 10, 31 mai 2011, n° 08/08703).

Les droits seront donc ainsi transférés tout au long du contrat, au fur et à mesure de son exécution. Il reste toutefois l’obligation d’indiquer les mentions de l’article L131-3 du CPI : Chacun des droits cédés doit faire l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession, et le domaine d’exploitation des droits cédés doit être délimité « quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée ».

Il est nécessaire de prévoir également une identification des œuvres réalisées au fur et à mesure par exemple dans un récapitulatif annuel qui viendra confirmer la cession aux conditions prévues par le contrat de travail. C’est à ce moment qu’il conviendra de se poser la question d’un complément de rémunération éventuel. (Article L131-4 du CPI).

  • Exception : les régimes de cession automatiques au profit de l’employeur.

Le Code de la propriété intellectuelle prévoit des cas de cessions légales pour certains types de créations. Ces régimes automatiques et dérogatoires adaptent les règles de cession afin de favoriser l’exploitation des œuvres concernées.

L’œuvre collective

L’article L. 113-2 définit l’œuvre collective comme :

« L’’œuvre créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé. »

L’article L113-5 du CPI dispose que l’œuvre collective est la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée.

Dans le cas où plusieurs salariés ont contribué à la création d’une œuvre dans le cadre de leur contrat de travail, l’entreprise peut donc revendiquer le statut d’œuvre collective. Aucune cession n’est alors à formaliser.

Il convient cependant de vérifier d’une part que la création soit bien réalisée en lien avec le contrat de travail et sous la direction de l’employeur. Il faudra aussi veiller à que le salarié ne travaille pas seul sur les œuvres concernées. Si le salarié est l’unique contributeur, il n’y a pas d’œuvre collective !

Les logiciels créés par les salariés 

L’article L113-9 du CPI dispose que : « les droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation créés par un ou plusieurs employés dans l’exercice de leurs fonctions ou d’après les instructions de leur employeur sont dévolus à l’employeur qui est seul habilité à les exercer. »

Ainsi les droits rattachés aux logiciels créés par les salariés sont attribués à l’employeur dès la création sans qu’il soit tenu de recourir à un contrat de cession.

Il est à noter que depuis l’ordonnance n°2021-1658 du 15 décembre 2021, cette disposition est applicable aux logiciels créés par des stagiaires.